55 rue Lakanal

Dans 55 rue Lakanal, mon intention a été de reproduire d’après des souvenirs matériels ce que subit la mémoire avec le temps. L’érosion du temps sur la mémoire. L’oubli, le mélange, la confusion, l'invention. Parfois...le souvenir reste intact.

Je redoute l’oubli. J’ai peur d’oublier mes premiers souvenirs, les souvenirs qu’il me reste du début de ma vie. Plus précisément, ceux qui concerne mes grands-parents.

Ces vidéos, qui sont ma matière première, ont été filmé par mon père. Peut-être que je ferai la même chose, par besoin. Comme Chantal Akerman qui a filmé sa mère à la fin de sa vie. Comme pour avoir des réponses, à quoi ?

Je remarque que mes souvenirs commencent à s’effacer, à perdre en exactitude.

De quelle manière était coiffé ma grand-mère très coquette ? Quelle était la couleur de son sac ? Que prenait-elle le matin en guise de petit déjeuner (à midi) ? Quel journal lisait mon grand-père ? De quelle couleur était son fauteuil ? Son œil abimé était-il le droit ou le gauche ? Et LA maison de Montpellier. Comment était la nappe sur cette table ? Quel était le meuble à côté de la cheminée ?

Ces questions sont-elles essentielle finalement ? Je sais que la mémoire sélectionne. Que l’on n’a peut-être pas besoin de se souvenir de tout. Que la vraie couleur du tapis n’est, après tout, pas si importante. Que les rêves, l’inconscient, l’imagination se charge du reste. Perec, dans W ou le souvenir d’enfance, reconstitue et même invente ! Toute sa vie il a essayé de se rappeler.

Et pourtant j’ai une obsession du souvenir intact. 

Avec le temps, les souvenirs deviennent de plus en plus flous. Ce flou devient une atmosphère. C’est autour de cette atmosphère que j’ai construit mon travail. Cette atmosphère devient un autre réel, je pense à Prospero.
« Nous sommes faits de l’étoffe de nos rêves et notre petite vie est entourée de sommeil ».

Qu’est-ce qui peut aider mes souvenirs à reprendre de l’étoffe ?

Les photos ! Les vidéos ! Archives du temps passé, les archives ne se trompent pas ! Les films, les photos laissent une trace. Une trace plus sûre que ma mémoire.

Et si cette trace numérique s’effaçait aussi ? …

J’ai donc fait subir à ma vidéo ce que subit notre mémoire avec le temps. En mélangeant les sons, en superposant les vidéos, parfois en rendant absente toute image.

À certains moments ces superposition peuvent fatiguer, on s’accroche à des mots , des détails visuels. Mon grand-père est au début très présent. Parce que c’était quelqu’un de présent quand il était là, il prenait de la place. Mais il a disparu avant ma grand-mère, alors je l’ai fait disparaitre en decrescendo.

Jonas Mekas, grand cinéaste de l’underground, avait quitté son pays natal pendant la guerre. Il y est retourné bien plus tard et l’a filmé. Il est retourné sur les traces de son histoire, comme si il manquait un morceau de son puzzle.


55 rue Lakanal
C’est où était la maison où ils habitaient.
C’est là où je les voyais la plupart du temps.
C’est où ont été filmé ses archives.
C’est une maison à laquelle je tenais beaucoup, que j’avais filmé dans le moindre détail (même les toilettes) avant qu’elle soit vendu. Ces vidéos étaient dans un disque dur qui m’a lâché.

Et le jour où cette trace numérique s’effacera il me restera l’écriture.

Elisa Massiah

End-of-study project